Jeune adulte, j’ai enregistré une vidéo érotique avec mon petit ami de l’époque. Il m’avait demandé de lui envoyer des sextos. Comme il me trompait, je m’étais dit que cela lui passerait l’envie d’aller voir ailleurs et aiderait ainsi notre couple. Je ne comprenais pas grand-chose à l’amour à cette époque.
Il a enregistré la vidéo de manière à ce que l’on ne voie que moi. Elle est devenue publique, d’abord sur WhatsApp, pendant plusieurs mois. Je viens d’une petite ville… Tout le monde se connaît.
Et puis la vidéo a été diffusée sur Facebook. J’aimais faire du cheval. La première chose que j’ai vue était une photo de moi habillée en escaramuza charra [une cavalière traditionnelle], accompagnée de la mention : « Vous voulez voir comment elle monte réellement ? » La vidéo a été téléchargée sur des dizaines de sites pornographiques ou « pack pages » [des pages de sites Internet affichant des photos de filles, généralement nues]. Je recevais jusqu’à 40 demandes en ami par jour, principalement de la part d’hommes sollicitant des rapports sexuels, en échange de quoi ils supprimeraient la vidéo. L’un deux m’a même dit que si j’avais des rapports sexuels avec un chien, il supprimerait la vidéo.
Après avoir fait des recherches sur Internet, j’ai appris que ce dont j’étais victime s’appelait « porno-vengeance ». Je me suis sentie davantage coupable, parce que si l’on qualifiait cela de « pornographie », j’y avais participé ; puisqu’on parlait de « vengeance », ça signifiait que je l’avais mérité.
J’ai arrêté d’aller à l’école, évitant de nombreuses choses, car j’avais honte. Votre corps nu devient public sans votre autorisation, mais c’est vous que les gens montrent du doigt parce que vous vous êtes laissée filmer. Dans un pays aussi machiste, vous êtes le mal incarné, une salope et une provocatrice, et vous commencez à y croire. J’étais dégoûtée par mon propre visage et mon propre corps, non seulement à cause de la vidéo, mais aussi en raison des moqueries et de l’objectification dont j’étais victime : on débat alors de votre physique, de vos vergetures ou de votre cellulite, de votre type de cheveux… et cela, pour la simple raison que vous êtes une femme.
Face à tous ces discours haineux j’ai fini par me détester, et même par ne plus supporter mon nom, car il était directement relié à cette vidéo. J’étais devenue une vidéo érotique visant à satisfaire le plaisir des hommes. Je n’étais ni une personne ni une étudiante ; je n’étais rien.
Un dimanche, ma famille et moi étions en train de regarder un film à la télévision. Quelqu’un a envoyé la vidéo à mon frère. Ma mère s’est précipitée sur son téléphone, mais je l’ai attrapé avant : « Maman, s’il te plaît, ne regarde pas. » Si m’a famille voyait la vidéo, plus rien ne m’empêcherait de mourir de l’intérieur.
Ma mère a pris le téléphone. Elle pleurait devant la vidéo. J’avais très peur. Mon corps était en feu. Vous vous sentez coupable de faire du mal à votre famille. C’est comme si [les harceleurs en ligne] vous violaient. Ils n’ont pas besoin de vous toucher ni de vous pénétrer pour vous violer.
J’avais déjà tenté de mettre fin à mes jours à trois reprises, mais je n’ai pas eu le courage d’aller jusqu’au bout. Chaque jour, je priais pour qu’on me laisse mourir. Ma mère a vu que j’étais désespérée. La première chose qu’elle m’a demandée c’est : « Est-ce que tu voulais que tout le monde voie cette vidéo ? » Ce à quoi j’ai répondu « Non, bien sûr que non. » Elle m’a demandé si je voulais que les gens me voient comme ils me voyaient et se moquent de moi. « Non, je n’ai jamais voulu ça. » « Donc, ce n’est pas de ta faute, m’a-t-elle rassurée. J’aurais eu honte de voir une vidéo de toi en train de voler, de tuer, de donner des coups à un chiot ou de commettre un délit quelconque. Mais une vidéo de toi en train de faire l’amour, de vivre ta sexualité, amoureuse et confiante, cela ne me gêne pas. » Puis elle a ajouté à l’intention de toute la famille, « Nous avons tous des rapports sexuels, ton frère, ton père, tes cousins, moi. La différence c’est que les gens te voient dans cette vidéo. Cela ne fait pas de toi une criminelle ni une mauvaise personne pour autant. Bats-toi, ma fille, car tu n’as rien à te reprocher. »
Elle était la première à me dire que ce n’était pas de ma faute. Ma grand-mère était du même avis. J’ai confié à ma mère : « Ce n’est pas seulement la vidéo. Lorsque je sors de la maison, ils se moquent de mon corps. J’ai honte. Je ne peux plus vivre ici. C’est comme si j’étais en prison. » Pour moi, la pandémie n’avait rien de nouveau. J’avais déjà vécu enfermée chez moi à cause du machisme, de la misogynie et des moqueries des autres. Le virus qui me faisait le plus peur, c’était la revictimisation de nos corps.
Après avoir trouvé un groupe de soutien, je me suis rendu compte qu’il existait plusieurs cas comme le mien. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de porter plainte auprès du procureur. On m’a dit que si j’avais été mineure, il y aurait eu abus sur mineur, mais comme ce n’était pas le cas, on ne pouvait rien faire pour moi, aucun crime n’avait été commis. J’étais très en colère à l’idée que d’autres femmes avaient vécu la même chose que moi, mais ne bénéficiaient pas du soutien de leur famille ou avaient dû déménager.