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Les humanitaires et les agent·e·s de santé font face à une violence sans précédent : cinq raisons pour lesquelles le monde doit agir

Quatre personnes portant des gilets de l’ONU sont au milieu des ruines d’un bâtiment détruit
L’hôpital Al-Shifa, dans le nord de Gaza, a été entièrement détruit après un bombardement aérien mené par les forces israéliennes. © UNFPA/Dominic Allen
  • 18 Août 2024

NATIONS UNIES, New York – L’année dernière, plus de 1 500 attaques ont touché des établissements de santé, tandis que plus de 280 humanitaires et au moins 750 agent·e·s de santé et patient·e·s ont été tué·e·s. Ce bilan ne provient pas des champs de bataille, mais des attaques contre les hôpitaux, les maisons, les véhicules assurant des soins médicaux vitaux et les espaces censés être sûrs.

Le nombre officiel de soignant·e·s et patient·e·s tué·e·s ou blessé·e·s n’a jamais été aussi élevé qu’en 2023, un sombre record que le monde est en passe de battre en 2024. Les humanitaires font également face à une violence sans précédent, alors que l’on déplore déjà 172 décès cette année. De Gaza au Myanmar, d’Haïti à l’Ukraine, les équipes d’intervention de première ligne et les personnes qu’elles essaient de servir subissent bombardements, fusillades, enlèvements, tortures, arrestations, et ce alors qu’elles tentent de faire leur travail.

N’entrainant aucune action officielle, cette flambée de violence reste largement impunie. Ci-dessous, nous examinons les cinq raisons pour lesquelles le monde doit protéger de toute urgence les établissements de santé, leur patientèle, ainsi que leur personnel.

1. Les attaques contre les établissements de santé, le personnel médical et les patient·e·s constituent des violations flagrantes du droit international humanitaire

Une femme tient la main d’un petit garçon alors qu’une autre femme se tient derrière
Mariza Ahmadi, sage-femme, a aidé Mme Sughra à mettre au monde son fils, Farhad, en toute sécurité à la maison de santé familiale Ahangaran dans la province reculée de Bamyan, en Afghanistan. ©UNFPA Afghanistan

Pour les personnes vivant dans les zones de conflit, les humanitaires et les intervenant·e·s de première ligne représentent tout simplement une aide vitale, qui est bien souvent leur seule et unique. Les attaques délibérées contre les établissements de santé constituent une violation directe du droit international humanitaire et ébranlent la santé et le bien-être de sociétés entières.

Au-delà des décès immédiats et inacceptables du personnel et des patient·e·s, le ciblage des prestataires de santé engendre des dégâts indirects à long terme, en particulier pour les systèmes de santé déjà fragiles : consultations médicales manquées, opérations annulées, et en fin de compte, d’innombrables vies perdues en raison de causes évitables.

Mariza Ahmadi était sage-femme au sein de la maison de santé familiale Ahangaran, dans la province de Bamyan, lorsque l’Afghanistan a sombré dans le chaos après le retrait des troupes étrangères du pays, en août 2021. Le personnel et la patientèle des établissements de santé publics comptent parmi les groupes les plus affectés : de nombreuses infrastructures ont fermé, tandis que d’autres se sont retrouvées à l’arrêt en raison du manque d’agent·e·s de santé en capacité de se déplacer.

« Ce centre de santé n’a pas fermé un seul jour pendant cette période », témoigne Mme Ahmadi. « J’avais peur moi aussi, mais si j’étais partie, une mère ou un bébé aurait pu mourir, et tous nos efforts pour éviter les décès maternels et néonatals n’auraient servi à rien. » 

2. Cibler les humanitaires et les équipes de santé nuit aux plus vulnérables, comme les femmes enceintes

A man in blue scrubs sits at a desk in the sand, speaking with a pregnant woman
Dr Mohamed Ragab, gynécologue-obstétricien, travaillait au complexe médical Nasser à Khan Younis, à Gaza. Il travaille désormais dans un camp de déplacement à Rafah. © UNFPA Palestine/Bisan Owda

Les guerres et les conflits exposent les femmes enceintes à d’innombrables dangers, et ce alors que les établissements de santé dont elles ont besoin sont souvent attaqués, inaccessibles ou à l’arrêt. Pour le personnel de santé, se rendre au travail signifie prendre le risque d’être arrêté, enlevé, blessé et, de plus en plus souvent, tué. C’est à Gaza plus que nulle part ailleurs cette année que cette réalité est la plus frappante. Le système de santé y a été pratiquement anéanti par plus de 490 attaques armées contre des hôpitaux, des cliniques et des ambulances. Les femmes sont contraintes d’accoucher sans médicaments, dans des conditions insalubres, certaines livrées à elles-mêmes. Des nouveau-nés meurent, leurs mères étant dans l’incapacité de se rendre aux consultations pré ou postnatales.

En outre, seule une fraction des fournitures médicales essentielles étant disponibles, les maladies peuvent rapidement s’avérer fatales. Dr Ragab, qui était gynécologue-obstétricien au complexe médical Nasser, dans le sud de Gaza, s’est installé dans une tente d’un camp pour personnes déplacées, à Rafah, après le bombardement de son établissement. « Nous constatons une pénurie de médicaments essentiels pour les femmes comme la Clexane ou l’héparine, qui devraient être disponibles et permettent de sauver des vies », expliquait-il à l’UNFPA en mars. « Je suis supposé fournir ces médicaments aux femmes, mais je ne suis pas en mesure de le faire. »

3. Les survivantes de la violence sexuelle n’ont nulle part où aller

Une foule est réunie autour d’agent·e·s de santé assis·e·s à une table et remplissant des ordonnances]
Une clinique mobile de l’UNFPA dans un site de déplacement au lycée Joseph Bernard situé sur la route de Frères, à Port-au-Prince, Haïti. © UNFPA Haïti/Wendy Desert

Dans les situations de crise, la violence basée sur le genre a tendance à exploser, pendant que les mécanismes de défense permettant de l’éviter et d’y répondre s’effondrent. À Haïti, où la violence sexuelle est largement utilisée comme une arme par les gangs armés, les signalements de viol ont augmenté de 50 % entre 2022 et 2023, tandis que le pays s’enfonçait dans le chaos. Plus de 500 000 personnes ont été forcées de quitter leur maison, les exposant davantage aux risques de violence tout en limitant leur accès aux services de santé. Seul un quart des survivantes de viol environ est en mesure de bénéficier d’une prise en charge médicale et d’une contraception d’urgence dans un délai crucial de 72 heures, et il leur est encore plus difficile de recevoir une aide psychosociale pour traiter le traumatisme physique et mental durable.

Alors que le système de santé national est déjà à genoux, les groupes armés perturbent fréquemment les itinéraires de livraison et les établissements de santé sont quasiment constamment attaqués, pillés pour leurs équipements et même leurs ambulances. La plupart ont été contraints de cesser leur activité, le personnel est maintenant déplacé et environ 40 % des agent·e·s de santé ont quitté le pays, privant une grande partie de la population de Port-au-Prince de soins essentiels. Dr Batch Jean Jumeau, président de la Société haïtienne d’obstétrique et de gynécologie, décrit les conditions actuelles comme « traumatiques… les gens sont extrêmement vulnérables. […] Depuis l’augmentation des attaques de gangs, nous avons remarqué un fort taux de grossesses précoces, particulièrement dans certains sites d’installation. »

4. L’inaction est susceptible de normaliser la violence

 Une femme marche entre des tentes
L’UNFPA apporte son soutien au Soudan, notamment en mettant des espaces sûrs à disposition des femmes et des filles, mais l’agence peine à aider les personnes dans le besoin en raison de la violence. ©UNFPA Soudan/Sufian Abdulmouty

Depuis avril 2023, 88 attaques contre des infrastructures de santé ont été signalées au Soudan, et seul un établissement sur quatre est totalement opérationnel dans les zones de conflit. Le personnel de santé n’a pas été payé depuis des mois et de nombreux centres sont occupés, pillés ou attaqués. Ceux qui restent sont à court de réserve de sang, de matériel de transfusion, de liquides de perfusion intraveineuse et de fournitures médicales. 

Ces faits sont intolérables, et le monde ne doit pas les accepter.

« Je suis arrivée au centre après la cessation des combats, mais je l’ai trouvé en ruines : il n’y avait plus de lit, plus d’équipement, plus de matériel », se souvient Hiba*, médecin à la clinique Ardamata à Al-Genaïna, dans l’État soudanais du Darfour-Occidental. Lorsqu’elle est opérationnelle, la clinique fournit des services de santé sexuelle et reproductive à quelque 300 000 personnes. Mais après l’assaut de groupes armés l’année dernière, les équipes de santé communautaires et les humanitaires se sont engagé·e·s à assurer leurs consultations à domicile. « Nous avons rendu visite aux femmes et filles enceintes chez elles », explique Sara*, sage-femme. « Nous avons toutefois eu des difficultés pour nous déplacer, et nous n’étions pas en mesure de prendre en charge les cas présentant des complications. Nous avons dû faire accoucher certaines [femmes enceintes] dans la rue. »

5. Les ambulances et les équipes de santé mobiles sont l’unique option pour de nombreuses personnes, mais elles sont également les plus exposées à la violence

Une ambulance devant un bâtiment endommagé
Une ambulance utilisée par l’équipe mobile de santé sexuelle et reproductive devant l’hôpital endommagé d’Izium, en Ukraine. © Andrii Kravchenko

L’incapacité du personnel de santé à se rendre sur son lieu de travail met en danger les soins et la survie de millions de personnes, notamment, et même en particulier, celles vivant dans les zones reculées. Pour ces communautés, les équipes de santé mobiles et les ambulances sont parfois l’unique moyen d’avoir accès à des soins tels que les services vitaux de maternité, les options de planification familiale et l’aide en cas de violence basée sur le genre. Dans de nombreux conflits, les équipes et les ambulances sont cependant la cible de fusillades, de bombardements, d’attaques de missiles, de frappes de drone et de pillages.

Depuis deux ans, les équipes de soutien mobiles de l’UNFPA opèrent malgré l’intensification des combats, notamment en Ukraine. « En route vers le refuge pour les victimes de violence conjugale [à Kharkiv], une usine non loin de là a été touchée », explique Olena Kuznietsova, psychologue. « On a vu de la fumée. On a entendu des cris. Nous avons dû descendre vers une station de métro servant d’abri anti-bombe. »

Un appel à l’action

En 2023, l’UNFPA a assuré des services de santé sexuelle et reproductive pour quelque 14 millions de femmes, de filles et de jeunes en contexte de crise. Les équipes de l’agence ont permis à 1,4 million de femmes d’accoucher en toute sécurité et plus de 1 000 établissements offrant une protection contre la violence basée sur le genre ont accueilli des millions de personnes.

Sans l’infrastructure et le personnel permettant de mettre en œuvre ces programmes de façon sécurisée, les femmes et les filles luttant déjà pour leur survie dans les situations de violence et d’agitation seraient quasiment privées de toute aide pour faire face aux complications liées à leur grossesse, gérer les terribles conséquences des viols et traverser les horreurs des mariages forcés, compromettant ainsi d’autant plus leur vie.

L’année a été marquée par d’impitoyables conflits, et les crises mondiales durent depuis si longtemps qu’elles sont susceptibles d’être oubliées. Les lieux censés offrir guérison aux personnes malades, blessées et réfugiées sont devenus des cibles. Alors que les auteurs de ces crimes s’en sortent bien souvent en toute impunité, cette Journée mondiale de l’aide humanitaire s’accompagne d’une mise en garde : les dirigeants doivent redoubler d’efforts, et agir pour l’humanité.

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