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Ne pas nuire : ressources à l’usage des journalistes pour ne pas créer de nouveau traumatisme chez les survivantes de violences sexuelles

Une étude sur les survivantes Yazidi a montré que certaines avaient été affectées négativement par leur expérience avec les journalistes, explique l’experte Sherizaan Minwalla. © UNFPA/Khetam Malkawi
  • 20 Décembre 2019

NATONS UNIES, New York/AMMAN, Jordanie – La violence sexuelle et basée sur le genre terrorise les femmes et les filles du monde entier, et touche une d’entre elles sur trois. Les journalistes ont un rôle essentiel à jouer dans le reportage sur ces cas de violences, pour que les autorités puissent ensuite agir et prévenir d’autres abus. Les reportages sur la violence basée sur le genre présentent pourtant de graves risques pour les survivantes.

Lorsque les journalistes traitent ces récits à la légère, ou sans y avoir été formé·e·s, cela peut créer un sentiment d’exploitation chez les survivantes, ou bien les exposer à de la stigmatisation ou des représailles.

Lorsque des membres de la communauté Yazidi ont été la cible de violences sexuelles et d’esclavage de la part de l’Etat islamique (EI, aussi appelé Daech), les articles et actualités qui en traitaient ont suscité des actions d’urgence de la part de la communauté internationale. Certaines femmes espéraient que raconter leur histoire permettrait de rendre la justice. 

D’autres ont pourtant estimé que rapporter ces faits serait dommageable, expliquent Sherizaan Minwalla et Johanna Foster, des expertes juridiques qui ont étudié la question.


Le Dr Nagham Nawzat est spécialisée dans les soins aux survivantes Yazidi en Irak. Des interviews de professionnel·le·s de santé, de psychologues et de la communauté en général peuvent aider les journalistes à montrer l’impact de la violence sexuelle et basée sur le genre. © UNFPA Irak/Turchenkova

« Nous avons analysé les ressentis des femmes Yazidi sur les façons dont les journalistes ont recueilli leurs témoignages et les ont publiés », précisent-elles dans un résumé de leurs recherches.

« Dans l’ensemble, une majorité des répondantes décrit une expérience ou un ressenti vis-à-vis des journalistes qui laisse supposer un manquement commun à l’éthique. Les journalistes ont paru faire peu de cas d’un important impact négatif éventuel de leur reportage sur les survivantes traumatisées, qui pouvait encore plus mettre en danger leur bien-être individuel et collectif ».

De nouvelles initiatives visent cependant à aider les journalistes à éviter les dangers que présentent cet important travail de diffusion. L’UNFPA et le Centre pour le Leadership mondial des femmes (CWGL) de l’université Rutgers ont créé un partenariat pour, entre autres choses, fournir des ressources aux journalistes et les guider.

Ouvrir les yeux

« Le journalisme constitue l’une des rares voies possibles pour que les histoires des [survivantes] soient entendues », déclare Jafar Irshaidat, spécialiste des communications pour l’UNFPA en Jordanie. « Malheureusement, les journalistes peuvent sans le vouloir devenir une partie du problème ».

M. Irshaidat a animé des formations à destination des journalistes, qui encouragent la couverture de la violence basée sur le genre tout en les mettant en garde contre les dommages potentiels d’un tel travail. Ces séminaires explorent les questions du consentement, de la protection, des nouveaux traumatismes et des idées reçues sur les victimes de violences, à travers des vidéos et des discussions guidées.

« Cette formation m’a vraiment ouvert les yeux. Je n’ai jamais reçu d’informations sur la violence basée sur le genre, ni sur la nécessité de traiter ce sujet avec délicatesse », raconte Bushra Nairoukh, journaliste en Jordanie. « Je me sens plus responsable en tant que journaliste maintenant qu’on m’a présenté ce sujet important ». 

L’UNFPA a également travaillé avec des partenaires du secteur humanitaire pour créer des recommandations ainsi qu’un livret spécialement consacré à la Syrie, à destination des journalistes. Les bureaux de l’UNFPA au Yémen, en Syrie et ailleurs ont également proposé des ateliers média sur ces thèmes.


Krishanti Dharmaraj, directrice du CWGL, et le Dr Natalia Kanem, directrice de l’UNFPA, lors de la signature du partenariat. © UNFPA/Malene Arboe-Rasmussen

Ces efforts produisent déjà leurs effets. Depuis 2014, plus de 500 journalistes ont assisté aux formations de l’UNFPA en Jordanie, et divers messages en ont informé près de 1 500 autres.

« J’ai beaucoup appris sur les possibles conséquences d’un reportage et sur la façon de formuler mes textes pour m’assurer que je ne porte pas préjudice aux personnes que j’espère aider, notamment les femmes et les filles vulnérables », explique Fatma Ramadan, originaire d’Égypte.

Écouter les journalistes

Le CWGL, qui a fondé la campagne internationale 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, travaille en parallèle à l’élaboration d’un livret, d’un site internet ainsi que d’une application pour aider les journalistes à traiter ces questions. En 2018, le CWGL et l’UNFPA ont organisé des consultations conjointes avec des dizaines de journalistes à Amman, pour comprendre leurs difficultés et leurs besoins. Les informations recueillies permettront de contribuer au livret du CWGL et des autres ressources en cours de développement.

Un grand nombre de journalistes ont précisé que ces formations devraient aussi être élargies aux rédactions. « Les journalistes déplorent que leurs reportages soient bien souvent dédaignés par les rédacteurs et rédactrices, ce qui souligne un besoin de mieux cibler les efforts de sensibilisation », déclare M. Irshaidat. 

Toutefois, ajoute-t-il, le journalisme offre des opportunités de réflexion créative et de résolution de problèmes. On peut encourager les journalistes à trouver des manières innovantes de parler de violence basée sur le genre, qui ne s’appuieraient pas sur des interviews invasives, comme des « outils d’investigation plus poussés qui examinent les ramifications sociales plus larges de la violence basée sur le genre et de la domination masculine », précise-t-il.

Le 19 décembre dernier, l’UNFPA et la CWGL ont officialisé un partenariat visant à éliminer la violence basée sur le genre. Il comprendra des efforts de sensibilisation, d’information et d’autonomisation des journalistes, qui seront alors en mesure de changer les perceptions sur la violence et les normes de genre.

« Nous examinons notre travail autour de l’initiative journalistique et changeons le discours sur la façon dont [la violence basée sur le genre] est rapportée dans les médias », explique Krishanti Dharmaraj, directrice du CWGL, lors de la signature du partenariat à New York.

« Cette alliance va permettre d’accélérer le rythme », déclare quant à elle la directrice de l’UNFPA, le Dr Natalia Kanem. « Elle va permettre d’intensifier nos efforts ».

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