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Des liens qui rapprochent : le tissage des bilums en Papouasie Nouvelle-Guinée raconte les histoires des femmes et des filles

Florence Jaukae Kamel est tisserande de bilum et entrepreneuse. © UNFPA Papouasie Nouvelle-Guinée
  • 05 Juillet 2023

GOROKA, Papouasie Nouvelle-Guinée – « Le bilum est tissé par des femmes. La torsion des fibres est réalisée par des femmes. Les modèles sont conçus par des femmes. Lorsqu’on parle de bilum, on parle donc d’une affaire de femmes », explique Florence Jaukae Kamel, tisserande de bilum.

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Les bilums à motif losange représentent la transition d’une jeune fille vers l’âge adulte. © UNFPA Papouasie Nouvelle-Guinée

Les bilums sont des cabas très adaptables qui servent à beaucoup de choses en Papouasie Nouvelle-Guinée. On les utilise comme couffins pour les bébés – « bilum » signifie « ventre » (au sens d’utérus) en langue Tok Pisin – ou bien pour transporter des marchandises afin de les vendre. Ils sont aussi tout à tour accessoires de mode, civières, et font partie des cérémonies funéraires des membres important·e·s de la communauté. Ainsi, les bilums accompagnent de nombreuses personnes depuis le berceau jusqu’à la tombe.

À travers différents motifs, les bilums parlent de joie, de douleur, de transition, de beauté… mais aussi d’inégalité des genres. Nous vous proposons de découvrir ci-dessous comment les bilums racontent les histoires des femmes et des filles de la région, et ce que l’UNFPA (l’agence des Nations Unies en charge de la santé sexuelle et reproductive) fait pour les aider à affronter leurs difficultés.

Le motif losange

Le motif losange symbolise le passage d’une jeune fille à la féminité, au moment de ses premières règles. Il orne le sac que porte la jeune fille pour se présenter à la société en tant que femme.

L’un des rites de passage en Papouasie Nouvelle-Guinée autour de cette période de la vie stipule que les filles qui ont atteint la puberté doivent être isolées de la communauté dans une petite maison. Les femmes de la communauté leur rendent alors visite pour leur apprendre ce que signifie être une femme, y compris comment prendre soin de soi en période de menstruation.

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Ce motif, inspiré de la forme de l’utérus, a provoqué des controverses avec les autorités locales. © UNFPA Papouasie Nouvelle-Guinée

Malheureusement, il peut s’avérer difficile de veiller à son hygiène menstruelle dans le pays, à cause d’un « manque de sanitaires propres », selon Marielle Sander, représentante de l’UNFPA Papouasie Nouvelle-Guinée. Les serviettes hygiéniques sont également rares.

L’UNFPA propose ces produits d’hygiène dans les kits dignité qu’elle distribue aux femmes et aux filles en situation de crise humanitaire. En juin 2023, l’agence a distribué 300 kits aux femmes et aux filles qui se remettent encore des violences qui ont eu lieu l’an dernier à la suite des élections papouanes-néo-guinéennes. « Nous avons besoin de ça. Nous avons besoin de serviettes hygiéniques », déclare Erika Aiyah, qui a assisté à la distribution.

Le motif ovaires

Ce motif qui ressemble à un utérus de femme viendrait des infirmières de la maternité de l’hôpital de la base de Goroka, au début des années 2000. Selon Mme Jaukae, il a créé l’émoi.

« La police est venue avec des ciseaux et a commencé à taillader les bilums, en demandant “Pourquoi représentez-vous les parties intimes des femmes ?” », raconte-t-elle. « Lorsqu’on est une femme, l’utérus est sacré. »

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Ce motif de bilum aide les tisserandes débutantes à apprendre cet art. © UNFPA Papouasie Nouvelle-Guinée

Il est malheureusement très fréquent que les sociétés du monde entier tentent de restreindre les discussions et les représentations liées au corps des femmes, tout en portant atteinte au droit des femmes à l’autonomie corporelle. En effet, des données récentes montrent que dans 68 pays, 44 % des femmes en couple ne sont pas en mesure de prendre de décisions en matière de santé, de vie sexuelle ou de contraception.

En Papouasie Nouvelle-Guinée, les femmes ont en moyenne un enfant de plus que le nombre qu’elles estiment idéal ; parallèlement, une femme mariée sur quatre a des besoins non satisfaits en matière de planification familiale. L’UNFPA soutient les efforts de comblement de ces lacunes par des initiatives telles qu’une stratégie nationale de promotion de l’usage du préservatif, et par l’évaluation des besoins communautaires en services et produits de santé reproductive.

Le motif toile d’araignée

Ce motif met en lien la tisserande de bilum avec une grande tisserande naturelle : l’araignée.

Généralement utilisé par les jeunes tisserandes lorsqu’elles commencent leur apprentissage du bilum, le motif toile d’araignée vise comme l’explique Mme Jaukae à enseigner la patience et la persévérance.

Selon la légende, une jeune fille qui apprenait à tisser des bilums en eut assez du travail fastidieux que requérait cet art. Elle remarqua la facilité avec laquelle une araignée toute proche avait tissé sa toile, et demanda à sa mère : « Pourquoi ne pouvons-nous pas faire comme cette araignée et terminer le bilum ? »

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Le motif peau de cochon évoque la marginalisation de certaines femmes dans la société papouane-néo-guinéenne. © UNFPA Papouasie Nouvelle-Guinée

Sa mère lui répondit alors que les bilums ne se font pas en un jour. « Le bilum araignée explique qu’il faut prendre son temps », souligne Mm Jaukae.

L’apprentissage prend du temps. Pourtant, dans le pays, de nombreuses jeunes filles n’en ont pas l’occasion, en grande partie parce qu’on les marie. Actuellement, plus d’une fille non scolarisée sur cinq déclare que c’est parce qu’elle est mariée ou sur le point de l’être.

L’UNFPA combat dans le monde entier les mariages d’enfants, précoces ou forcés, et permet à plus de neuf millions de filles de bénéficier de services de protection et de prévention, ainsi que de soins adaptés à ces pratiques néfastes. « Les parents et les membres de la famille doivent refuser le mariage d’enfants et faire de la vie et des droits de leurs filles une priorité », affirme Mme Sander.

Le motif peau de cochon

Ce motif rappelle le statut encore inégalitaire des femmes dans la société de Papouasie Nouvelle-Guinée. Mme Jaukae relie ses origines aux banquets communautaires, lors desquels des cochons sont préparés puis mangés.

Les femmes marginalisées de la communauté, notamment les femmes âgées, les mères célibataires et les veuves, sont chargées de préparer le repas, mais ne peuvent manger que les restes gras et la peau du cochon coupée en cubes, ce que vise à rappeler le motif de ce bilum. 

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Le motif montagne est une métaphore des obstacles que les femmes et les filles en particulier doivent surmonter. © UNFPA Papouasie Nouvelle-Guinée

Comme le fait remarquer Mme Jaukae, les femmes âgées de Papouasie Nouvelle-Guinée sont parfois ostracisées et discriminées par la société. L’UNFPA milite pour le renforcement du système de santé du pays afin d’aider ces femmes, ainsi que la part de la population âgée de 65 ans et plus, qui est certes restreinte, mais en augmentation.

Mme Jaukae arbore pour sa part un tatouage qui est inspiré du motif peau de cochon. « Je n’ai plus mon mari près de moi, alors cela raconte mon histoire », explique-t-elle. « C’est comme une campagne de lutte contre le fait de traiter les femmes comme des citoyennes de seconde zone ; même si nous n’avons pas de mari, que nous sommes issues d’une famille pauvre ou que nous sommes veuves, nous méritons nous aussi notre place dans la société. »

Le motif montagne

Le motif montagne est un puissant symbole des grands obstacles sociaux que doivent surmonter les femmes.

Il a fait sa première apparition dans un village du massif Siane, les montagnes sauvages qui séparent la région de Chimbu de la vallée de Goroka, et il met en lumière les difficultés rencontrées au quotidien par les femmes qui vivent dans ces montagnes.

« Cela représente la route que doivent faire chaque jour ces femmes à travers la brousse pour jardiner, s’occuper du bétail, aller chercher de l’eau », précise Mme Jaukae. Ce motif parle aussi d’appartenance et du foyer qu’offrent les montagnes. « C’est là que ces femmes vivent, et c’est là qu’elles mourront aussi », ajoute-t-elle.

Les bilums accompagnent les femmes de Papouasie Nouvelle-Guinée tout au long de leur vie, et c’est aussi ce que fait l’UNFPA. La campagne de l’agence pour la mise en valeur des tisserandes de bilums et des histoires qu’elles racontent, notamment sur le traitement inégalitaire que leur inflige la société, révèle l’urgente nécessité d’atteindre l’égalité des genres, ainsi que de garantir les droits et la santé sexuelle et reproductive pour toutes et tous.

« Parler de l’importance de la santé reproductive des femmes à travers ces bilums que nous aimons tant, grâce aux significations cachées de leurs motifs, encourage la discussion sur ce sujet essentiel », conclut Mme Jaukae.

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