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Gaza face à des choix impossibles : « les femmes accouchent prématurément à cause de la terreur »
- 23 Février 2024
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Rafah, BANDE DE GAZA – « Cela a été épuisant : nous avons géré 78 cas en une seule nuit. » À la maternité Al-Helal Al-Emirati de Rafah, il n’y a que cinq lits pour les accouchements. C’est là que Samira Hosny Qeshta travaille comme sage-femme.
Il s’agit de l’un des rares hôpitaux encore opérationnels du sud de Gaza. L’UNFPA, l’agence des Nations Unies en charge de la santé sexuelle et reproductive, lui a fourni des produits essentiels tels que des médicaments et des kits de santé reproductive et maternelle, mais cette petite structure n’est pas suffisamment équipée pour gérer une situation aussi désastreuse.
« Toutes les personnes déplacées sont à Rafah, donc toute cette charge repose sur nous », explique Mme Qeshta. « Il y a très peu de sages-femmes, très peu de lits et très peu de médecins. »
Le personnel raconte l’horreur de voir ce flot continu de patient·e·s blessé·e·s et malades, dont des femmes enceintes, des jeunes mères et des nourrissons. Les nouveau-nés meurent par manque de soins pré ou postnatals pour les mères, ou parce que celles-ci n’avaient aucun établissement de santé où aller.
Comme l’explique Mme Qeshta, « la plupart ont arrêté tout suivi à partir de leur septième mois de grossesse. Elles viennent juste pour accoucher désormais, en espérant que tout se passe au mieux. »
Les bombardements permanents, la fuite pour se mettre en sécurité et la peur qui règne partout ont des conséquences dramatiques pour beaucoup, déplore le Dr Ahmed Al Shaer, pédiatre à l’hôpital. « C’est le résultat de la terreur et de l’anxiété […] et c’est ce qui mène à des naissances prématurées. Ces cas sont déjà très difficiles à prendre en charge en temps normal, alors imaginez aujourd’hui. La situation est tragique. »
Une crise de santé publique
La hausse du nombre d’urgences obstétricales qui a été signalée s’opère alors même que les structures encore opérationnelles à Gaza subissent une pression insupportable. Les maladies infectieuses sont en hausse elles aussi dans des refuges surpeuplés et dangereux, ainsi que dans les hôpitaux qui subissent des frappes. La faim, la déshydratation et la mort guettent la population à chaque minute.
Les nouveau-nés doivent entamer une lutte très inégale pour leur survie. « Nous devons mettre quatre ou cinq bébés dans la même couveuse… La plupart d’entre eux meurt », se désole le Dr Al Shaer.
Les infections sont très répandues également à cause de toilettes et de douches insalubres, ce qui menace particulièrement les femmes enceintes et les jeunes enfants. « La plupart des femmes arrivent atteintes d’infections », explique Mme Qeshta. « Les toilettes sont toutes communes et les infections s’y transmettent facilement. Ces femmes ne peuvent pas non plus changer de sous-vêtements suffisamment souvent, et tout cela contribue aux infections. »
Plus des trois quarts de la population de Gaza a été contrainte de fuir son domicile depuis le début de ce conflit, plusieurs fois de suite pour la majorité. La plupart de ces personnes vit actuellement dans des conditions sordides et dangereuses, sans possibilité de se protéger de la violence et n’ayant qu’une maigre toile de tente pour s’abriter du vent, de la pluie et du froid. Au milieu de cette catastrophe, près de 5 500 femmes enceintes doivent accoucher dans le mois qui vient, presque sans aucun accès à une assistance médicale. On compte par ailleurs environ 155 000 femmes enceintes et allaitantes menacées par la malnutrition.
Beaucoup d’entre elles sont piégées à Rafah, qui était déjà l’une des zones les plus densément peuplées de Gaza avant l’escalade des hostilités. Sa population a désormais augmenté de 500 %, et plus de 1,4 million de Palstinien·ne·s sont menacé·e·s par une offensive terrestre israélienne imminente.
Parmi elles, Suhad Matar, 36 ans, a effectué un voyage éreintant depuis Jabalia, enceinte, après le bombardement de la maison où elle vivait avec sa famille. « Chaque fois qu’il pleut, la tente prend l’eau et les lits sont trempés. Il leur faut deux à trois jours pour sécher. Aujourd’hui, j’ai rendez-vous pour ma césarienne, puis je reviendrai ici subir les mêmes souffrances. »
En plus de ces conditions de vie épouvantables, elle n’a pas les produits essentiels nécessaires pour prendre soin de son bébé, ni d’elle-même. « Les habits que je possède ne seront que pour le jour de l’accouchement, et c’est tout. Il fait vraiment très froid dans la tente, même si nous nous couvrons au maximum. Ce qui m’inquiète le plus, c’est comment je vais pouvoir garder [mon bébé] au chaud. »
Elle est également très fébrile à cause de l’accouchement en lui-même. « On nous a dit que celles qui en avaient besoin devraient amener un matelas et un oreiller afin d’entrer dans la maternité et pouvoir accoucher. »
Un avenir terrifiant
Pour celles qui parviennent à bénéficier d’un lit, l’accouchement reste source de nombreuses incertitudes. Mme Qeshta nous parle d’une femme qui a récemment fait une fausse couche. « Elle ne le savait même pas… elle ne sentait plus de mouvement depuis quelque temps, mais c’est tout. Et bien entendu, elle n’avait pas été suivie. C’est une femme déplacée qui vit dans une tente. Qu’est-ce qu’elle viendrait faire ici ? »
Depuis le 7 octobre 2023, il y a eu plus de 360 attaques contre des établissements de santé. Ceux qui sont encore debout et leurs équipes ploient sous le nombre de vies à sauver, alors que l’équipement manque cruellement. « Nous sommes en situation de crise », déclare Mme Qeshta. « Nous n’avons pas assez de matériel. Nous pratiquons les accouchements sans même avoir de draps, directement sur les lits en cuir. »
« Tandis qu’une femme accouche, nous en amenons une autre, et il n’y a pas de lit. Nous lui disons de se lever, de s’asseoir sur une chaise, alors qu’elle vient d’accoucher. Il n’y a ni hygiène, ni intimité […] C’est lamentable. »
Les accouchements soutenus par l’UNFPA continuent quand c’est possible
Lorsque les conditions d’accès le permettent, l’UNFPA distribue des médicaments et du matériel aux établissements de santé de Gaza, dont l’hôpital Al-Helal Al-Emirati de Rafah. Ces livraisons comprennent notamment des fournitures de santé maternelle, post-partum et reproductive (y compris pour les urgences obstétricales), ainsi que des kits dignités et des kits d’hygiène menstruelle.
L’UNFPA propose aussi une assistance pécuniaire ponctuelle aux femmes vulnérables, ainsi que des sessions de prévention et de prise en charge de la violence basée sur le genre. Il faut pourtant faire bien plus que cela : les communautés et les hôpitaux sont de plus en plus attaqués et le système de santé de Gaza ne tient plus qu’à un fil.