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Mettre fin aux mutilations génitales féminines et à l’excision dans la région de l’Afar en Éthiopie

Une ancienne exciseuse informe les membres de sa communauté des préjudices des MGF/E. Photo : Abraham Gelaw
  • 08 Avril 2010

AWASH, région de l’Afar, Éthiopie — Le visage de Dohra Ali s’illumine d’un sourire au souvenir de la question posée par sa fille ainée il y a quelques années : « Mère, existe-t-il un endroit dans le monde où l’on ne pratique pas les mutilations génitales féminines et où je pourrais aller ? ». À l’époque, cette question constituait un véritable affront pour Dohra, qui était l’une des femmes de la communauté chargées des excisions.

En y repensant, Dohra affirme que les paroles de sa fille étaient prophétiques. C’est à peu près à cette période, en 2000, qu’une campagne visant à mettre fin aux mutilations génitales féminines et à l’excision (MGF/E) a été lancée dans la région. Les principaux promoteurs de cette campagne ont été les chefs religieux, qui ont déployé d’immenses efforts pour faire comprendre à leurs homologues plus conservateurs, aux chefs de clans et à la communauté dans son ensemble que l’Islam ne soutenait pas ces pratiques. Il s’agissait d’une idée nouvelle pour beaucoup de personnes convaincues depuis toujours que les MGF/E étaient une obligation religieuse.

Au début, Dohra était farouchement opposée à cette campagne. Mais elle a finalement changé d’avis lorsque les chefs religieux ont organisé des débats dans sa communauté et condamné ces pratiques. Après avoir appris que l’Islam n’appuyait pas les MGF/E, Dohra a décidé d’épargner ce calvaire à ses cinq filles et de cesser elle-même de réaliser ces interventions. Malgré les railleries de certains membres de sa communauté, Dohra ne s’est pas arrêtée là et s’est ralliée à la campagne de lutte contre les MGF/E.

 

Parvenir à un consensus

La campagne a suivi son cours pendant six ans et débouché, en 2006, sur une conférence pendant laquelle un consensus quant à l’abandon total des MGF/E dans la région a été trouvé. Cette conférence a rassemblé des hauts fonctionnaires du gouvernement régional, des administrateurs de la zone, des responsables de woredas (districts) et de kebeles (sous-districts), ainsi que des chefs religieux et de clans. Une règlementation gouvernementale réaffirmant le Code pénal d’Éthiopie (ratifié en 2005), qui érige ces pratiques en infraction, a également été adoptée.

C’est sur cette base que le Programme conjoint UNFPA-UNICEF pour l’abandon des MGF/E a été mis en place dans la région de l’Afar.

La région de l’Afar est l’un des endroits les plus chauds et les plus secs de la planète. Selon l’enquête démographique et de santé réalisée en 2005, il s’agit de la deuxième région d’Éthiopie en termes de prévalence des MGF/E, après la région Somali, avec des taux de prévalence respectifs de 74 % et 92 % . Dans la région de l’Afar, les femmes sont traditionnellement soumises à la forme la plus sévère de ces pratiques, l’infibulation, réalisée en général à l’âge de 7 à 9 ans. Dans certains districts, cette intervention a lieu dans les jours qui suivent la naissance.

L’infibulation consiste à retirer la totalité du clitoris, des petites lèvres et des grandes lèvres, puis à suturer ou sceller la plaie en laissant seulement un petit orifice pour l’écoulement de l’urine et des règles. Les chiffres montrent que 63,2 % des femmes de la région de l’Afar ont été infibulées (certaines personnes réalisent aujourd’hui une forme moins extrême). Cette pratique entraîne souvent un traumatisme et des douleurs intenses, un choc septique, des hémorragies, une infection généralisée, une rétention urinaire, des ulcérations génitales, des infections urinaires, etc. Les obstructions et les déchirures pendant les rapports sexuels ou l’accouchement sont fréquentes.

Dohra Ali avec deux de ses filles non excisées. Photo : Abraham Gelaw

 

Susciter l’adhésion de la communauté

La stratégie de base du Programme conjoint UNFPA-UNICEF est d’obtenir l’adhésion d’un premier groupe d’individus qui décident de mettre fin aux MGF/E. Ils contribuent alors à mobiliser un nombre suffisant de personnes pour créer un point de basculement, c’est-à-dire un consensus suffisant pour entraîner une modification sociale rapide de la norme. L’Association pour le développement du pastoralisme Afar (APDA), l’organisation de développement des femmes éleveuses Rohi Weddu ainsi que le Bureau des affaires féminines jouent le rôle de partenaires de mise en œuvre. Dans un premier temps, le Programme conjoint opère dans tous les sous-districts des six districts constituant la Zone 3 de la région de l’Afar, à savoir Amibara, Argoba, Awash Fentale, Buremudayitu, Dulesa et Gewane.

Le dialogue communautaire a été identifié dès le début comme un outil essentiel pour susciter l’adhésion de la communauté. Une conférence de consensus réunissant des représentants des gouvernements de la région, des districts et des sous-districts, ainsi que des fonctionnaires de l’administration, s’est tenue dans la zone début 2009. Tous les acteurs ont convenu d’organiser et de soutenir un dialogue communautaire dans leurs communautés respectives. Ils se sont également engagés à faire figure d’exemples dans leurs communautés en n’excisant pas leurs enfants. Par ailleurs, les participants ont accepté de mettre en place et faire appliquer la législation une fois que les communautés seront parvenues à un consensus sur l’abandon des MGF/E.

 

Former des animateurs de dialogues

Des animateurs de dialogues communautaires ont été formés dans les six districts cibles. La formation a été assurée par les membres du Comité de lutte contre les pratiques traditionnelles néfastes de la région de l’Afar, constitué de représentants du Conseil suprême des affaires islamiques de la région, du Bureau des affaires féminines, du Bureau de la justice et du Conseil régional. Des administrateurs, des chefs religieux et de clans et d’anciennes exciseuses ont participé à ces formations qui ont abordé le lien entre les MGF/E et l’Islam, les effets de ces pratiques sur la santé et les droits légaux des femmes et des enfants. Ensuite, les animateurs de dialogues communautaires ont été chargés de diffuser des informations et des connaissances auprès des membres des communautés dans le cadre des dialogues communautaires. Des centaines de séances de dialogue ont ainsi été organisées.

Malgré l’important dispositif instauré pour mettre en œuvre et suivre le programme (voir l’encadré ci-dessous), quelques cas de parents continuant de faire exciser leurs filles ont été identifiés. Les comités de lutte contre les MGF dans les villages signalent consciencieusement ces cas et les contrevenants sont sanctionnés. Cependant, certaines exciseuses traduites en justice ont été graciées, bien que cette possibilité ne soit pas prévue.

Le mode de vie des Afars complique le déroulement du programme. Éleveurs pour la plupart, ils ne peuvent pas assister assez régulièrement aux dialogues communautaires pour obtenir des informations suffisantes sur les MGF, ce qui rend les progrès difficiles à suivre à l’échelle des communautés. De plus, lors de certaines séances de dialogue, des membres de la communauté ont plaidé en faveur de l’abandon de l’infibulation pour une excision moins sévère (parfois appelée « sunna »), qui n’est pas répréhensible aux yeux de certains chefs religieux.

Grâce aux efforts déployés pour changer les mentalités, ces filles n’auront pas à subir les souffrances et les conséquences à vie des MGF/E. Photo : Abraham Gelaw

Des résultats impressionnants

Néanmoins, les premières informations montrent que les résultats du Programme conjoint sont impressionnants. Selon Ato Asmelash Woldemariam, directeur exécutif de l’organisation de développement des femmes éleveuses Rohi Weddu, le nombre de filles non excisées dans les six districts d’intervention se porte à 4 000. Il affirme que ce chiffre n’avait jamais été atteint dans cette région où selon la tradition, « une femme non excisée est une femme qui attend le jour de son excision ou qui a déjà trouvé la mort ».

Aux dires d’Ato Asmelash Woldemariam, deux des districts d’intervention du Programme conjoint, Awash Fentale et Amibara, devraient annoncer cette année leur abandon des MGF/E. Si son financement est assuré, le programme sera élargi à trois autres districts. En attendant, il s’agit de consolider les résultats obtenus grâce à l’ajout de composantes telles que des activités génératrices de revenus et des cours d’alphabétisation ciblant principalement les anciennes exciseuses.

Si l’objectif principal est d’accélérer l’abandon des MGF/E, des mesures sont prises pour intégrer d’autres pratiques traditionnelles néfastes dans le processus de dialogue communautaire. Par exemple, dans la région de l’Afar, beaucoup de personnes sont convaincues que les filles pourraient s’adonner au sexe ou se faire violer si elles ne sont pas mariées à l’âge de 15 ans, ce qui exerce une pression pour qu’elles s’unissent tôt. Des actions sont actuellement menées pour repousser l’âge du mariage des filles à 18 ans en les aidant à suivre des études. Ainsi, l’éducation des filles a augmenté ces dernières années et les membres des comités de lutte contre les MGF comme Dohra Ali font figure d’exemples en envoyant leurs filles à l’école.

Grâce aux efforts acharnés de Dohra Ali et d’autres membres de la communauté, le sous-district de Doho a été sélectionné pour servir de modèle en matière d’accélération de l’abandon des MGF/E dans le district d’Awash Fentale. Dohra a contribué à créer la communauté dont sa fille rêvait. Ses enfants incarnent aujourd’hui la première génération de filles de l’Afar qui grandissent à l’abri des préjudices des MGF/E.

— Abraham Gelaw

 

Suivre les avancées

Des structures ont été mises en place sur le terrain afin de suivre la mise en œuvre du Programme conjoint. Des comités de lutte contre les MGF composés du chef du clan, d’un ancien de la communauté, de deux anciennes exciseuses et du Kadi (juge local) ont été institués au niveau des sous-districts. Il existe également des comités de lutte contre les MGF à l’échelle des villages, constitués de deux anciennes exciseuses, d’un ancien du village, du chef du clan et du chef religieux de la communauté. Les membres des comités informent la communauté des conséquences des MGF/E et signalent les cas avérés.

Des réunions d’examen trimestrielles sont organisées afin de remettre à niveau les connaissances des intervenants et d’aider les comités à faire face aux difficultés qu’ils rencontrent au cours de leur travail. Les réunions d’examen permettent également d’évaluer les progrès. Elles sont animées par les membres du Comité de lutte contre les pratiques traditionnelles néfastes de la région de l’Afar. Des hauts fonctionnaires comme le vice-président de la région ou le vice-président du Conseil suprême des affaires islamiques ont même dirigé certaines réunions d’examen, témoignant ainsi du sérieux de l’engagement pris dans la région pour mettre fin aux MGF/E.

Dans les villages, les filles non excisées et les nouveau-nés de sexe féminin sont maintenant enregistrés dans le cadre d’un mécanisme de suivi destiné à les protéger. Les registres sont communiqués chaque trimestre.

Les travaux de suivi sont réalisés de manière régulière en collaboration avec les administrations des districts. Ils ont été intégrés à leurs tâches habituelles. Les MGF/E sont abordées sous l’angle du développement lors des réunions périodiques organisées par les administrations des districts et des sous-districts. Un réseau régional constitué d’organisations gouvernementales et de la société civile a été mis en place afin d’établir une approche commune et de parvenir à une entente quant à l’abandon total de ces pratiques néfastes.

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