Des activistes locaux dénoncent l’inertie autour des meurtres et disparitions de femmes autochtones

États-Unis d'Amérique

Des activistes locaux dénoncent l’inertie autour des meurtres et disparitions de femmes autochtones

« Nous devrions pouvoir juger les crimes commis sur nos terres. Les tribus ont le statut de nations, des nations dont la souveraineté est reconnue. Malgré tout, nous n’avons aucun moyen de protéger notre peuple. »

Carolyn DeFord, dont la mère a disparu en 1999, travaille aux côtés du Comité FFADA pour défendre les droits et le bien-être des femmes et des filles autochtones aux États-Unis. Crédit photo: © Photo reproduite avec l’aimable autorisation de Carolyn DeFord.

Bien que sa mère ait disparu en 1999, ce n’est qu’en 2011 que Carolyn DeFord a finalement pu mettre un nom sur la douleur profonde qui l’habite depuis ce jour : la perte ambiguë.

« Tu es comme figée, dans une incertitude constante, incapable de tourner la page », décrit Carolyn, membre de la tribu Puyallup, dans l’État de Washington. Celle qui siège désormais au Comité consultatif sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées aux États-Unis (FFADA EU) se remémore : « J’ai imaginé en long, en large et en travers tous les scénarios possibles, tout ce qui aurait pu expliquer la disparition de ma mère. »

Ces questions restées sans réponses, c’est ce que vivent chaque année des milliers d’autochtones dont les proches sont portés disparus aux États-Unis. Avec un taux d’homicide 10 fois supérieur à la moyenne nationale (Urban Indian Health Institute, 2018), le meurtre est en effet la troisième cause de décès des femmes amérindiennes vivant dans des réserves. Malgré le manque de données, ce constat sans équivoque laisse toutefois présager des statistiques encore bien en dessous de la réalité. Ainsi, sur les 5 712 disparitions de femmes et filles amérindiennes et autochtones d’Alaska rapportées par le National Crime Information Center en 2016, seules 116 ont été répertoriées dans la base de données du ministère de la Justice américain.

La sous-déclaration des cas de disparition, la classification raciale erronée, ainsi que les relations tendues entre les forces de l’ordre et les communautés autochtones sont autant de facteurs qui contribuent à l’incomplétude des données (Urban Indian Health Institute, 2018). Un problème qui se trouve exacerbé par la complexité du système juridictionnel aux États-Unis. En effet, en 1978, la Cour suprême a statué que les nations tribales ne pourraient plus poursuivre les non-autochtones pour des crimes à l’encontre d’Amérindiens, quand bien même ceux-ci auraient été commis sur leur propre territoire. En conséquence, lorsqu’une personne autochtone est victime d’un crime violent, l’origine de l’auteur, le lieu des faits (au sein ou en dehors de la réserve), ainsi que la nature et la sévérité de l’acte doivent être précisément établis pour déterminer la juridiction chargée de juger l’affaire.

Pour beaucoup, cette confusion juridictionnelle inciterait les criminels à cibler prioritairement les femmes et filles amérindiennes. « Nous devrions pouvoir juger les crimes commis sur nos terres. Les tribus ont le statut de nations, des nations dont la souveraineté est reconnue. Malgré tout, nous n’avons aucun moyen de protéger notre peuple », s’insurge Carolyn.

Les familles des personnes disparues ainsi que les défenseurs des populations autochtones affirment que même lorsqu’une enquête est ouverte, celle-ci n’est pas menée avec la rigueur de mise. « On dirait que tout le monde essaie de se refiler le bébé pour ne pas avoir à se casser la tête » s’offusque Carolyn. « Ce n’est sûrement pas le cas, mais c’est l’impression que ça donne. »

En 2013, la prorogation du Violence Against Women Act (VAWA) (Loi relative à la violence contre les femmes) a permis de restaurer la compétence pénale des tribus sur les non-autochtones s’étant rendus coupables de crimes domestiques sur les terres tribales. En 2022, la liste des crimes susceptibles d’être jugés par les nations tribales a été élargie pour inclure, entre autres, la violence sexuelle, l’exploitation sexuelle et le harcèlement obsessionnel. Luhui Whitebear, professeure d’études autochtones à l’Université d’État de l’Oregon et membre du Comité consultatif FFADA aux États-Unis, soutient que les nations tribales ont désormais accès à un large éventail d’instruments juridiques pour protéger leur communauté. « Mais attention, les réformes législatives ont leurs limites », nuance-t-elle. « Les gens ont tendance à se réjouir vite, mais il faut savoir lire entre les lignes. »

Prof. Whitebear signale notamment que la prorogation de 2022 ne s’applique pas à l’ensemble des nations tribales, mais uniquement à celles reconnues pour le Gouvernement fédéral. La nation Chumash, à laquelle elle appartient, n’est donc pas concernée par la loi. La question des ressources est également à prendre en considération, puisque les tribus ont rarement accès aux financements ou aux formations nécessaires à la conduite d’enquêtes approfondies.

Pour tenter de compenser cet état de fait, les organisations locales, comme le Comité FFADA, se mobilisent en faveur des familles. Lorsqu’un être cher disparaît, celles-ci ont souvent besoin d’être aidées de manière concrète : un billet d’avion, des volontaires pour mener les recherches sur place ou encore une somme destinée à la nourrice gardant les enfants. « Je suis très reconnaissante aux personnes qui consacrent de leur temps aux fouilles sur le terrain et à la distribution d’avis de recherche, car il n’est malheureusement pas rare que, faute de moyens, les familles doivent choisir entre subvenir à leurs besoins et poursuivre l’enquête. Les ressources mises à disposition par les organisations font vraiment la différence », se félicite Prof. Whitebear.

Un autre levier essentiel consiste à lutter contre les stéréotypes entourant les populations et communautés tribales. « Dénormaliser l’exploitation des corps de femmes autochtones et cesser de nous considérer comme quantité négligeable serait déjà un grand pas », s’exclame Prof. Whitebear. « Pour mettre fin à cette violence, il faut arrêter de se persuader que le problème est circonscrit aux tribus. Tout le monde est concerné. »

Dans les années ayant suivi la disparition de sa mère, Carolyn, elle, a appris à mettre sa douleur au service d’autres familles en quête de réponses : « Partager mon histoire et mon expérience pour aider les autres, en retour de ce que font pour moi d’autres militants, a été salvateur », se confie-t-elle. « Pouvoir décharger les familles de certaines démarches, afin qu’elles puissent prendre soin d’elles et concentrer leurs efforts là où ils sont le plus utiles, c’est précieux. Vivre cette expérience traumatisante et en ressentir toute l’horreur moi-même m’aura au moins servi à ça. Si je peux utiliser mon vécu pour aider les autres, alors cela n’aura pas été totalement vain. »

Le rôle des activistes est également crucial pour inciter le Gouvernement à refaçonner la législation. « Certaines lois décisives pour les populations autochtones ont été promulguées ici » affirme Carolyn. « Et tout ça, c’est grâce aux porte-parole locaux et aux familles qui, à travers leur témoignage, transmettent nos histoires, nos frustrations et nos exigences. »

Reportages

Le tissage et la broderie brouillent les frontières entre art et fonctionnalité, entre aspect pratique et dimension esthétique. Par le passé, les mouvements de femmes ont souvent utilisé les textiles pour sensibiliser le public aux questions qui leur tenaient à cœur, comme l’acceptation de son corps, la justice reproductive ou encore la lutte contre le racisme systémique. Les artistes contemporaines et les collectifs textiles dirigés par des femmes perpétuent cette tradition à travers des œuvres reflétant leur environnement et leurs coutumes locales. Depuis des milliers d’années, l’art textile permet ainsi aux femmes du monde entier de créer des passerelles entre les générations passées et futures, au sein des familles et des communautés.

Nous tenons à remercier les artistes dont les créations illustrent ce rapport :

  • Nneka Jones

    Nneka Jones

  • Rosie James

    Rosie James

  • Bayombe Endani, représentée par The Advocacy Project

    Bayombe Endani, représentée par The Advocacy Project

  • Woza Moya

    Woza Moya

  • Le Collectif de femmes Tally Assuit, représenté par l’International Folk Art Market

    Le Collectif de femmes Tally Assuit, représenté par l’International Folk Art Market

  • Pankaja Sethi

    Pankaja Sethi

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